Ma mère, cette montagnarde.

Depuis mon jeune âge, on m’a bourré le crâne avec une langue qui n’était pas la mienne, on décrétant sans mon consentement, ni celui de ma mère, que c’était ma langue ! Entre ma mère et moi, ils ont voulu crée une distance, une rupture. Et depuis, on ne se comprend plus, ma mère et moi ! Je ne parlais plus sa langue, elle ne pouvais pas apprendre la mienne. Elle ne comprenait pas pourquoi « Si M’hand ou M’hand » n’était plus un grand poète mais un charlatan qui parlait une langue paysanne, et que les vrais poètes s’appelaient « El Moutanabbi », « Abou Nouass » ou bien « El Bouhtouri ». Je ne parlais plus ma langue, car ma langue était une langue inférieure.

C’est ce que m’avais fait sentir mon instituteur, à l’âge de six ans, quand j’ai, un jour, prononcé un mot dans la langue de ma mère. Alors moi, intelligent que j’étais, à 6 ans déjà j’avais tout compris ; qu’il faillait vite apprendre la langue de mon instituteur, envoyé de Syrie, et m’en défaire vite de la langue de ma mère, la montagnarde, car elle me portait la poisse, la misère, la pauvreté !

J’avais même parfois honte de ma mère, la paysanne, la montagnarde, qui n’avait pas des goûts raffinés, d’ailleurs elle mettait de l’huile d’olive partout, même pour un mal de dent ! quelle misère ! Un jour j’avais gagné le premier prix « meilleure élève » de toute la ville. Mais je ne voulais pas le lui dire, j’avais peur qu’elle vienne et me fout la honte devant tout le monde.

Alors à 12 ans, je me suis trouvé une nouvelle mère, jolie, élégante, raffinée et parlant une langue qui me faisait rêver. Elle s’appelait Rosa, c’était mon institutrice de Français. Et à travers elle, je me suis découvert une nouvelle langue, une nouvelle identité. Je voyageais dans les compte de Voltaire, je naviguais sous les mers de Victor Hugo, je voulais refaire le monde avec Jean-Jacques Rousseau !

Et je suis tombé amoureux de l’élégance et du raffinement à la française, j’ai rompus avec ma mère. Mais « El Bouhtouri » m’est resté collé à la peau, même si j’ai tenté de m’en défaire…

Et depuis… (10 ans plus tard)

Je vie mon jour comme un Parisien branché, savourant à chaque instant, mon présent ! le soir comme un Nostalgique, Romantique pleurant parfois son passé… écorché par mes deux vies, mes langues, le cul entre deux chaises ! Ne sachant qui je suis…

Je suis venu pour conquérir le savoir, la connaissance. Je devais repartir, mais je suis resté. Ne me dite pas pourquoi ! moi-même je ne le sais pas. Est-ce peut être pour l’élégance des Françaises !

Et puis un jour, 10 ans plus tard, soudainement et sans savoir pourquoi, en plein Paris ; « El Bouhtouri » a resurgi de nul part pour me parler de « Bouthayna », comme pour déterrer ma mère, alors que c’est elle qu’il l’a elle-même enterrée !

Et depuis, je me sens fatigué de vouloir incessamment devenir l’autre, que je ne suis pas et que je ne deviendrais jamais. Fatigué de voyager, de rêver, de devoir m’adapter au autre, m’intégrer.

Je veux commencer à chercher dans mon histoire, pour connaitre mes racines, et savoir qui était mon grand-père.

J’ai décidé de renouer avec ma mère, l’écouter me raconter son enfance passée dans la misère, tendre l’oreille quand elle me parle de « Si M’hand ou M’hand ». Alors je l’ai invité dans un grand palace parisien, là où on tente de séduire les plus exigeantes des femmes. Pour lui signifier que « Bouthayna »,  « la prof de Français » c’était juste des histoires passagères, et que c’est elle la femme de ma vie !

J’ai, entre-temps, envoyé une lettre à Bouthayna et à ma prof de Français afin de les remercier pour tous ce qu’elles m’ont appris, que j’étais reconnaissant pour la belle poésie, le raffinement et le savoir. Mais que désormais, c’est ma mère qui compte le plus pour moi.

J’ai décidé, depuis, de ne plus jamais succomber au charme d’une belle femme parlant une belle langue. J’ai ensuite embrassé ma mère sur la tête, en lui chuchotant à l’oreille ; qu’aucune autre femme ne lui arriverait à la cheville.

Et depuis ce jour là, j’ai compris ; que la valeur d’un homme se mesure à la valeur qu’il accorde à sa mère, le jour ou il réussi, le soir ou ils se réconcilient.

– @kam, ôde à ma mère, 17 février 2014 –

(Photo : Tableau « Ma Mère » de M’hamed Issiakhem)

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PS : ce texte est une pure fiction, il s’inspire de mes lectures de Mouloud Feraoun et Moulour Mammeri. « Ma mère » est un personnage fictif, figuratif renvoyant au lien à la terre, aux racines, à l’identité, semblable à Nedjma chez Kateb.

El Bouhtouri, El Moutanabbi ; célèbres poètes Arabe.

Bouthayna ; célèbre personnage d’Amour de la poésie Arabe, un des deux personnages, avec Leïla de « Kaïss oua Leïla » qui ont inspiré le personnage « Juliette » en occident.

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